12/03/2012

Lettre de l'FMR N°5


































Sans titre 2004, peinture de Sylvie Fanchon composée en écho à une visite à l’étang des fayards (Mazerolles, Poitou-Charentes) sera mise en vente sur eBay à partir samedi 18 septembre 2010 à 17H30 jusqu’au mardi 28 septembre 2010 à 17H30. Cette vente au profit de l’association FMR permettra de financer les travaux de restauration de l’étang des fayards menacé d’envasement. Les modalités de la vente seront précisées dans un prochain mail, avant l’ouverture des enchères.
Sylvie Fanchon, sans titre, 2004,
46X55 cm, acrylique sur toile

Le 5 décembre 2009 23h02, Cyril Jarton a écrit :
Bonjour Sylvie, pour ouvrir cet entretien, peux-tu me raconter ta première rencontre avec l'étang des fayards?
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Le 6 décembre 2009 16:56, Sylvie Fanchon a écrit :
C'était vers la fin Juillet 2004 ou 2005. Il faisait très beau et chaud, en fin d'après-midi. L'ensemble des "fayards" se donne d'un coup, l'étang et la maison, ils se découvrent au tout dernier moment après une courbe de la route de campagne qui passe devant. Ce qui m'a plu c'est tout d'abord les proportions de l'ensemble : comme une miniature,l'étang est tout rond, petit, bordé face à la route par une forêt de hêtres. À la nuit, la lune s'est élevée derrière la rangée d'arbres devenus noirs se dessinant sur le ciel, l'eau sombre agitée seulement par quelques clapotis, parsemée de points lumineux et fugaces. J'étais dans un tableau de Caspar Friedrich. Je ne me suis pas baignée, mais je restais des moments à regarder l'eau, parfois vous y plongiez, d'une série de brasses vous le traversiez. Le temps est différent au bord de l'étang. La maison, sur son bord, la maison des contes de fées ou de sorcières... Cet ensemble est un archétype de l'idée de l'étang bordé de sa bicoque au fond d'une forêt. Quand j'y suis retournée l'été 2009 j'ai bien vu que la vase a gagné. Gagné sur l'eau. Une ombre plane sur l'ensemble, qui toujours gracieux, s'alourdit d'une menace,la couleur a changée, l'humidité s'installe,les mauvaises herbes prolifèrent et les moustiques aussi. L'étang va être dévoré par la vase, il va se transformer en marécage si rien n'est fait pour le sauver.
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Le 17 décembre 2009 22 :32, Cyril Jarton a écrit
En effet, la vase gagne. L'étang des fayards et beaucoup comme lui dans le Poitou-Charentes sont en voie d'extinction : ils ne sont plus entretenus et des lois drastiques interdisent de les vider facilement. En règle générale, rares sont ceux qui saisissent la poésie des étangs. Pour beaucoup d'écologistes et pour les touristes, ce sont des eaux dormantes, inquiétantes, impropre à la baignade et qui ne correspondent pas à l’idée (kitsch!) de l'eau transparente, pure, etc... Pour les amateurs de pureté, les étangs sont des lieux troubles. C'est ce qui m'intéresse, justement, ce trouble. Le trouble plutôt que le pur : à travers la vie et la mort des étangs, c'est une question philosophique qui se joue. Mais nous devons avant tout combattre, dans l’urgence, avec des moyens techniques,politiques, et surtout économiques - c'est ce que tu as proposé de faire en offrant à l’association de vendre un de tes tableaux pour financer les travaux de restauration de l'étang des fayards. Merci pour ton engagement ! Si une peinture peut sauver un étang, chapeau. La particularité de l'étang des fayards - en dehors du fait que la Fédération Mondiale de Ricochets est née sur ses berges - est celle-ci : fayard est l'autre nom du hêtre. À cet endroit, comme tu l'as écrit, les hêtres se reflètent dans l'étang. C'est en Charente, près des étangs, que j'ai lu le gros volume de Heidegger, Être et Temps. Je me souviens de cette lecture comme un va-et-vient entre être et hêtre, étant et étang, un jeu de reflets, de déplacements... Si je transpose aux fayards la trame Heideggerienne, voici que les reflets des hêtres dans l’étang ouvre et démultiplie ma perception en la plongeant dans un flux de lumière, de remous, de couleurs qui ne cessent de changer, selon les heures du jour ou de la nuit ou le caprice de la carpe qui saute.
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Le 19 décembre 2009 08:36, Sylvie Fanchon a écrit :

J'aime beaucoup cette histoire d'étang, de hêtres, d'être. Il est vrai que s'asseoir sur sa berge favorise le vide dans la tête et que c'est bien agréable. Nous aimons tous nous asseoir au bord de l'étang et laisser filer notre esprit comme des pécheurs à la ligne. Si je t'ai proposé de participer à la rénovation de l'étang c'est pour pointer le fait que l'étang des fayards est négligé, pour nous inciter à balayer devant notre porte ... C'est exact aussi de dire que la peinture et la contemplation font parfois bon ménage,je voyais des petits éclairs blancs dans l'eau des ovales fugitifs et après je me les suis remémoré pour un tableau noir avec des ovales blancs,je voulais entre autres, restituer cette sensation visuelle. Je ne suis pas intéressée par l'étude de la nature, mais quelquefois la nature remplace l'image, je dirais même que l'image précède la nature dans le sens où l'étang est une image d'étangs
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23 décembre 2009 04:23, cyril jarton a écrit

Je suis bien d'accord : avant d'aller lancer nos galets en Afrique ou en Russie, sauvons cet étang-là; cet étang-là qui est un "être" central dans notre histoire. Moi non plus, je ne pense pas qu'il faille prendre la nature comme modèle, ni même, d'ailleurs, qu'il existe quelque chose comme "la nature" - il y a plutôt des sites, des endroits et certains de ces endroits concentrent une énergie très forte - n'est pas de ce rayonnement dont tu parles comme l'une des sources de ton tableau noir et blanc? Dans ce coin, précisément, entre l’Arbre et la Rochefoucauld, la terre est ferrugineuse et lorsqu'un orage arrive, il s'attarde longtemps et se déchaîne. J'ai de merveilleux souvenir d'éclairs au-dessus de l'étang, des bruits de pianos tombant du ciel, soirée à la bougie à cause de l'électricité qui avait sauté. Je me revois aussi, plus tard, au soleil, en train d'écouter la radio et je me suis demandé - pourquoi est-ce que je ferais la guerre contre les Irakiens ou les Iraniens? Je me suis dit, par contre, ce qui vaut la peine, c'est d'empêcher les grands axes routiers d'arriver jusque-là, et les camions de marchandises et toute cette lèpres de pseudo-maisons en série qui dévastent le paysage. Oui, balayons devant notre porte : il m'emmerde avec leur confort - dire qu'on fait la guerre pour que des gens puissent mettre de l'essence dans le réservoir de leur bagnole! Dire qu'on construit ici tout genre de saloperie atomique en demandant aux autres de ne pas en faire autant! Voici le genre de pensées qui viennent au bord de l'étang des fayards. Des pensées de résistance. Il faut dire que dans ces forêts, autour de nous, passait la ligne de démarcation - nombreux, pendant les années 1942 ou 43 ont franchi cette ligne dans le coffre de la voiture de mon grand-père qui fonctionnait alors avec un alcool de betterave, je crois.
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4 janvier 2010 16:11, Sylvie Fanchon a écrit :

Qui a parlé de rayonnement, c'est un monde technik que le nôtre, je pense qu'il faut ruser avec son époque; c'est d'une certaine façon ce que fait ton grand-père. Mais le problème n'est pas tant le pétrole que la quantité de pétrole qu'il faut chaque jour dans le monde ; ce serait pareil pour la betterave : il en faudrait des quantités telles que... en fait c'est le gigantisme des besoins de l'humanité auquel il faut trouver des solutions, privilégier l'action restreinte.
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5 janvier 2010 09:17, cyril jarton a écrit

Oui, l'action restreinte... Se concentrer sur un lieu, un temps, un étang précis. Les lieux définissent les contraintes auxquels doit s'adapter la technique - et non le contraire. On creuse un étang là parce que la terre est propice, il y a un fond argileux qui retient les nappes d'eaux - dans le cas des fayards le terrain vallonné a aussi permis, jadis, de créer des réseaux d'étangs s'alimentant les uns et les autres, et actionnant des roues, alternativement, au moyen d'un système de vannes. Construire à partir d'une topographie, d'un environnement spécifique, c'est le contraire de faire surgir des lotissements cafardeux le long d'un axe routier ou de noyer une vallée en détournant un cours d'eau. Se pénétrer, d'abord, de l'esprit du lieu - c'est ce qui manque systématiquement aux projets dévastateurs qui rendent ce monde laid et hostile. Tout chantier devrait commencer par un long moment de méditation, in situ, où seraient réunis les intéressés, constructeurs, politiques, riverains, poètes... Il faudrait ensuite parler du site, échanger des points de vue, des rêveries, des idées - c'est quoi, ici, là, devant nous, dans nos yeux, sous nos pieds? Ceux qui auront quelque chose à dire et à partager pourront alors passer à l’action ;
seulement ceux-là.
Le 6 janvier 2010 12H13, Sylvie Fanchon a écrit
Cyril je pense que l'on peut s'arrêter là qu'en dis-tu? Il faut préciser que l'action restreinte est un terme mallarméen et non de moi.

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