LA LETTRE DE L’FMR N°3
FÉVRIER 2010
AU SOMMAIRE :
ÉPHÉMÈRES, UN TEXTE DE SARAH VENTURI PRÉSENTANT CES INSECTES «
FRÈRES » DE NOTRE ASSOCIATION - MAIS AUSSI DE TOUS LES INSECTES AILÉS –
AUJOURD’HUI MENACÉS PAR LA POLLUTION DE L’EAU.
EN CONTREPOINT, UNE NOUVELLE TRADUCTION DE L’ARTICLE DE PIER PAOLO
PASOLINI - LE VIDE DU POUVOIR OU L’ARTICLE DES LUCIOLES - PROPOSE UNE LECTURE POLITIQUE DE LA DISPARATION
D’UN AUTRE INSECTE, LA LUCIOLE. CE TEXTE EST PARUT LE 1ER FÉVRIER 1975, IL Y A PRÉCISÉMENT TRENTE
CINQ ANS AUJOURD’HUI ; IL EST PLUS QUE JAMAIS CONTEMPORAIN.
--
FÉDÉRATION MONDIALE DE RICOCHETS
41 rue de Nantes 75019 Paris
ÉPHÉMÈRES
Début novembre
2009, suite à la parution du livre « Survivance des lucioles » de
Georges Didi Huberman, je lis et traduis ‘« Il vuoto del potere »
ovvero « l’articolo delle luciole»’ de Pier Paolo Pasolini, paru le 1er février 1975 dans le journal le
Corriere della sera et édité la même année dans les Scritti corsari (Ecrits corsaires), un recueil d’articles dans lesquels Pasolini livre sa pensée sur l’Italie de son
époque (traduction de l’article en annexe).
Dans
« L’articolo delle luciole » (l’article des lucioles), Pasolini
expose les différentes formes de fascisme apparues en Italie, avec en contre
point la disparition des lucioles, qu’il prend comme unité de temps et comme
bioindicateur de la pensée. Le texte se divise ainsi en trois parties :
avant, pendant et après la disparition des lucioles. Les insectes apparaissent
comme des images du contre pouvoir face aux différentes formes de fascisme qui
se succèdent en Italie et dont l’empire des multinationales est la dernière manifestation. Les lucioles incarnent la singularité humaine et la pensée
poétique, en lutte avec l’univers de la consommation devenu le modèle unique
d’existence et de bonheur. Alors que le fascisme mussolinien, malgré sa
violence, n’a jamais réussi à homogénéiser la société et à rassembler le peuple
italien, le fascisme de la consommation décrit par Pasolini, lui, parvient à
imposer un modèle d’hédonisme unique et centralisé, qui évince tous les autres.
Ce phénomène est toujours d’actualité en
Italie
comme en France et bien d’autres pays, même si le terme de fascisme n’est plus approprié à mon goût. Sur la scène politique, le faciès des grosses tête a changé mais quand on cogne dessus, toujours le même son creux. Et qui, comme Pasolini, échangerait une luciole
contre une multinationale ? Après l’article des lucioles, je pars à la recherche de ces coléoptères qui me parlent aussi du Japon, de l’enfance et de la Vallée del
Cerusa où une nuit de juillet, il y a deux ans, nous en avons surpris plusieurs essaims. Les lucioles n’ont pas complètement disparu. Le 4 novembre dans l’après-midi, l’éphémère traverse mon écran.
L’éphémère est un
insecte ailé apparu sur terre à l’âge carbonifère, il y a 280 à 350 millions d’années,
après avoir survécu au cataclysme naturel qui a vu la fin des plus grandes
espèces animales. Il représente de ce fait le groupe d’insectes ailé le
plus ancien et d’un point de vue phylogénétique le groupe frère de
tous les
autres ordres d’insectes ailés. Il mesure de 3 à 40 mm
et il est reconnaissable à ses deux ou trois cerques ou « queues », placées au bout de l’abdomen. Son corps est grêle et mou. Ses ailes sont verticales au repos. Elles
sont transparentes, parfois jaunâtres ou brunâtres, finement nervurées voire
brillantes, ornées d'une tache sur leur bord avant, à l'extrémité de l'aile.
Les pattes sont petites et faibles, les yeux sont grands. Sa tête est surmontée
de petites antennes réduites à de minuscules soies. Il se développe lui aussi
dans les zones humides et doit lutter avec un milieu de vie de plus en plus
hostile. Le nom d’origine grec - ephêmeros - signifie qui dure un jour. Sa vie
à l’air libre ne dure en effet qu’une dizaine d’heures, après une vie larvaire au contraire très longue - un à trois ans, caché dans les fonds des fleuves, des rivières, des lacs ou
des étangs. Comme ses cousins les coléoptères, les trichoptères, les diptères, et les
odonates, il est un bioindicateur très utile pour le suivi de la qualité des milieux aquatiques et il représente un maillon important de la chaîne alimentaire dans
les écosystèmes d'eau douce. Il se situe eneffet entre les producteurs – les végétaux - et les consommateurs secondaires – en particulier les poissons et les oiseaux mais aussi les amphibiens, les
chauves-souris, les écrevisses, les sangsues et d’autres insectes aquatiques. Depuis
une cinquantaine d’années, touché par la dégradation de la qualité de l’eau et la pollution en général, l’éphémère est
menacé de disparaître.
Pourtant, ce poids plume qualifié d’insecte faible et
fragile est capable de déplacer des montagnes et de mobiliser
des populations entières, lorsqu’il se déploie en essaims de millions
d’individus. Il arrive en effet que ses invasions perturbent la visibilité routière et qu’une fois écoulées ses quelques heures de vie en
vol, les milliers de cadavres transforment les sols en patinoires, obligeant la
fermeture de ponts et de routes pendant plusieurs jours. Dans plusieurs
régions du
continent américain mais aussi en Bavière, les autorités n’ont d’autre
choix que de faire appel à des chasse-neige en
plein été, pour déblayer les routes
des cadavres
accumulés. De même que chaque année au Canada, lorsque
les essaims atteignent plusieurs milliards d’insectes de mai à juillet, on
dénombre après leur passage plusieurs cas de détérioration d’unités de condensation et de climatisation sur les toits des immeubles.
Ce
soir j’entends les éphémères vrombir dans le ciel. Nuages gris au-dessus de ma
tête. On se fait une partie de chamboule tout en écoutant Mad love de Muddy
Waters.
Sarah
Venturi
Annexe
« Le vide du pouvoir » ou « l’article
des lucioles »
de
Pier Paolo Pasolini (5 marzo 1922 – 2 novembre 1975), «Corriere della sera », 1er février 1975
(Traduction : Sarah Venturi)
« La
distinction entre fascisme adjectif et fascisme substantif remonte ni plus ni
moins au journal « Il Politecnico », et donc à l’immédiat
après-guerre… » Ainsi commence une intervention de Franco Fortini sur le
fascisme (« L’Europeo, 26-12-1974) : intervention à laquelle, comme
on dit, je souscris entièrement et pleinement. Je ne peux, par contre,
souscrire à son tendantieux début. En effet, la distinction entre
« fascismes » faite dans le « Politecnico » n’est ni
pertinente ni actuelle. Elle pouvait être encore valable jusqu’à il y a une
dizaine d’années, lorsque le régime démocrate-chrétien était encore le pur et
simple prolongement du régime fasciste. Mais il y a une dizaine d’années,
« quelque chose » est arrivé. « Quelque chose » qui
n’existait pas et qui n’était pas prévisible, non seulement à l’époque du
« Politecnico », mais aussi un an avant que ça n’advienne (ou même,
comme nous le verrons, pendant que ça advenait).
La
vraie comparaison entre « fascismes » ne peut donc se faire
« chronologiquement», entre le fascisme fasciste et le fascisme
démocrate-chrétien mais entre le fascisme fasciste et le fascisme
radicalement, totalement, imprévisiblement nouveau, qui est né de ce
« quelque chose » advenu il y a une dizaine d’années.
Puisque
je suis un écrivain, et que j’écris dans un esprit polémique, ou tout du moins
que je discute, avec d’autres écrivains, que l’on me laisse donner une
définition à caractère poético-littéraire de ce phénomène qui est arrivé en
Italie il y a une dizaine d’années. Ceci permettra de simplifier et d’abréger
notre discours (et probablement de mieux le comprendre aussi).
Au
début des années soixante, à cause de la pollution atmosphérique, et, surtout,
à la campagne, à cause de la pollution de l’eau (les rivières azur et les
canaux transparents), les lucioles ont commencé à disparaître. Le phénomène
fut foudroyant et fulgurant.
À
peine quelques années plus tard les lucioles avaient disparu. (Elles sont
maintenant un souvenir, assez déchirant, du passé ; et un vieil homme, qui
a un tel souvenir, ne peut se reconnaître jeune parmi les nouveaux jeunes, et
ne peut donc plus avoir les même regrets qu’autrefois.)
Ce
« quelque chose » qui est advenu il y a une dizaine d’années je
l’appellerai donc « la disparition des lucioles ».
Le
régime démocrate-chrétien a connu deux phases tout à fait distinctes, qui non
seulement ne peuvent être comparées, sans leur impliquer une certaine
continuité, mais qui tout bonnement sont devenues historiquement
incommensurables. La première phase de ce régime (comme les radicaux ont
toujours insisté justement à l’appeler) est celle qui va de la fin de la guerre
à la disparition des lucioles, la seconde phase est celle qui va de la
disparition des lucioles à aujourd’hui. Observons-les l’une après l’autre.
Avant la disparition des lucioles
La
continuité entre le fascisme fasciste et le fascisme démocrate-chrétien est totale et absolue. Je me
tairai sur ce dont on parlait à ce sujet, encore à ce moment-là, justement
peut-être dans le « Politecnico » : l’épuration ratée, la
continuité des codes, la violence policière, le mépris pour la Constitution. Et
je m’arrêterai un instant sur ce qui a compté après dans la conscience historique
rétrospective. La démocratie, que les anti-fascistes démocrate-chrétiens
opposaient à la dictature fasciste, était effrontément formelle.
Elle
se fondait sur une majorité absolue obtenue par les votes d’énormes strates de
classes moyennes et d’énormes masses paysannes, gérées par le Vatican. Cette
gestion n’était possible par le Vatican que parce qu’elle était fondée sur un
régime répressif. Dans un tel univers, les « valeurs » qui comptaient
étaient les mêmes que pour le fascisme : l’Eglise, la patrie, la famille,
l’obéissance, la discipline, l’ordre, l’épargne, la moralité. De telles
« valeurs » (comme du reste pendant le fascisme) étaient « même
réelles » : elles appartenaient aux cultures particulières et
concrètes qui constituaient l’Italie archaïquement rurale et paleoindustrielle.
Mais à partir du moment où elles furent élevées au rang de
« valeurs » nationales elles ne purent que perdre toute réalité et
devenir un conformisme d’état atroce, stupide et répressif : le
conformisme du pouvoir fasciste et démocrate-chrétien.
Provincialité,
grossièreté et ignorance, furent les mêmes aussi bien chez les
« élites » que, à un niveau différent, chez les masses populaires,
pendant le fascisme comme lors de la première phase du régime
démocrate-chrétien. Les paradigmes de cette ignorance furent le pragmatisme et
le formalisme du Vatican.
Tout
cela apparaît clair et sans équivoque aujourd'hui, parce qu’alors les
intellectuels et les opposants se nourrissaient d’espérances insensées. On
espérait que tout cela ne fût pas complètement vrai, et que la démocratie
formelle comptât au fond pour quelque chose. À présent, avant de passer à la
seconde phase, il me faut consacrer quelques lignes au moment de transition.
Pendant la disparition des lucioles
À
cette époque, la distinction entre fascisme et fascisme mise en place dans le
« Politecnico » pouvait même fonctionner. En effet, aussi bien le
grand pays qui était en train de se former dans le pays – c’est-à-dire la masse
ouvrière et paysanne organisée par le PCI - que les intellectuels les plus
avancés et les plus critiques, personne ne s’était aperçu que « les lucioles
étaient en train de disparaître ». Ces derniers étaient plutôt bien informés
par la sociologie (qui dans ces années-là avait mis en crise la méthode analytique
marxiste) mais il s’agissait d’informations qui n’avaient pas encore été vécues
et qui étaient en substance formelles. Personne ne pouvait soupçonner la
réalité historique qu’aurait été le futur immédiat ; ni identifier ce que
l'on appelait alors « bien-être » avec le « développement » qu’aurait du
réaliser pour la première fois pleinement en Italie le « génocide » dont Marx
parlait dans le « Manifeste ».
Après la disparition des lucioles
Les
« valeurs », nationalisées et donc falsifiées, du vieil univers agricole et
paléocapitaliste ne comptent plus tout à coup. Eglise, patrie, famille,
obéissance, ordre, épargne, moralité ne comptent plus. Et elles ne servent même
plus en tant que fausses valeurs. Elles survivent dans le clérico-fascisme
marginal (même le M.S.I. les répudie en définitive). Les remplacent des «
valeurs » d'un nouveau type de civilisation, totalement « autre » par rapport à
la civilisation paysanne et paléoindustrielle. Cette expérience a déjà été
faite par d'autres Etats. Mais en Italie elle est tout à fait particulière,
parce qu'il s'agit de la première réelle « unification » subie par notre
pays ; alors que dans les autres pays elle se superpose, avec une certaine
logique, à l'unification monarchique et à l’unification
l'unification monarchique et à
l’unification ultérieure de la révolution bourgeoise et industrielle. Le
traumatisme italien qui découle de la rencontre de l'« archaïsme » pluraliste
et du nivellement industriel n'a peut-être qu'un seul précédent : l'Allemagne
d'avant Hitler. Ici aussi, les valeurs des différentes cultures particularistes
ont été détruites par l'homologation violente de l'industrialisation, avec pour
conséquence la formation de ces énormes masses, non plus antiques (paysannes,
artisanes) et pas encore modernes (bourgeoises), qui ont constitué le sauvage,
l'aberrant, l'impondérable corps des troupes nazies.
En
Italie, il se passe quelque chose de similaire et de façon encore plus
violente, puisque l'industrialisation des années 70 constitue une « mutation »
décisive même par rapport à celle allemande d’il y a cinquante ans. Nous ne
sommes plus, comme chacun le sait désormais, face à des « temps nouveaux »,
mais face à une nouvelle époque de l'histoire humaine, de cette histoire
humaine dont les échéances sont millénaristes. Il était impossible que les
Italiens réagissent plus mal à ce traumatisme historique. Ils sont devenus en
quelques années (surtout dans le centre sud) un peuple dégénéré, ridicule,
monstrueux, criminel. Il suffit seulement de descendre dans la rue pour le
comprendre. Mais, naturellement, pour comprendre les changements des gens, il
faut les aimer. Moi, malheureusement, ce peuple italien, je l’avais aimé, que
ce soit en dehors des shemes du pouvoir (au contraire, en opposition désespérée
à eux) qu'en dehors des schemes populistes et humanitaires. C'était un vrai
amour, enraciné dans ma façon d’être. J'ai donc vu avec « mes sens » le
comportement compulsif du pouvoir de la consommation recréer et déformer la
conscience du peuple italien, jusqu'à une irréversible dégradation. Ce qui
n'était pas arrivé pendant le fascisme fasciste, période pendant laquelle le
comportement était totalement dissocié de la conscience. Le pouvoir «
totalitaire » réaffirmait et réitérait vainement ses accusations de
comportement : la conscience n'y était pas impliquée. Les « modèles » fascistes
n'étaient que des masques à mettre ou à enlever. À la chute du fascisme
fasciste, tout est redevenu comme avant. On a vu la même chose au
Portugal : après quarante années de fascisme, le peuple portugais a
célébré le 1er mai comme s’il avait célébré le dernier l’année d’avant. Il est
donc ridicule que Fortini antidate la distinction entre le fascisme et le
fascisme de l’immédiat après guerre : la distinction entre le
fascisme fasciste et le fascisme de cette deuxième phase du pouvoir
démocrate-chrétien ne trouve aucune comparaison dans notre histoire mais
probablement aussi dans toute l’histoire.
Mais
je n'écris pas uniquement le présent article pour polémiquer sur ce point, même
s'il me tient beaucoup à cœur. En réalité, j’écris le présent article pour une
raison très différente. La voici.
Tous
mes lecteurs se seront certainement aperçus du changement des dignitaires
démocrate-chrétiens : en quelques mois, ils sont devenus des masques funèbres.
C'est vrai, ils continuent à arborer des sourires radieux d'une sincérité
incroyable. Dans leurs pupilles, il se grumelle une réelle et bienheureuse
lumière de bonne humeur. Quand il ne s’agit pas de cette lumière de la
séduction malicieuse et rusée. Ce qui semble-t-il plaît autant aux électeurs
que le bonheur total. Aussi, nos puissants hommes continuent, imperturbables,
d'émettre leurs verbiages incompréhensibles où flottent les « flatus
vocis » des habituelles promesses stéréotypées. En réalité, ceux là sont
justement des masques. Je suis sûr que, si on soulevait ces masques, on ne
trouverait même pas un tas d'os ou de cendres : il y aurait le rien, le vide.
L'explication est simple : il y a en réalité aujourd'hui en Italie un dramatique
vide du pouvoir. Et là réside le point
important: il ne s’agit pas d’un vide de pouvoir législatif ou exécutif,
pas un vide du pouvoir directif, ni, enfin, un vide de pouvoir politique pris
dans n'importe quel sens traditionnel. Mais un vide du pouvoir en soi.
Comment
en sommes-nous arrivés à ce vide ? Ou, mieux, « comment les hommes de pouvoir
en sont-ils arrivés là » ?
L'explication
est simple , encore une fois : les hommes de pouvoir démocrate-chrétiens sont
passés de la « phase des lucioles » à celle de la « disparition des lucioles »
sans s'en apercevoir. Pour autant que cela puisse paraître proche d’un acte
criminel leur inconscience a été sur ce point absolue : ils n’on pas eu la
moindre suspicion sur le fait, que le pouvoir qu’ils détenaient et géraient,
n’était pas en train de subir simplement une évolution « normale »,
mais qu’il était en train de changer radicalement de nature.
Ces
derniers se sont leurrés à l'idée que dans leur régime tout resterait tel
quel ; que, par exemple, ils pourraient compter à jamais sur le Vatican,
sans s’apercevoir que le pouvoir, qu’ils continuaient eux-mêmes à détenir et à
gérer, ne savait plus que faire du Vatican pareil à un centre de vie paysanne,
rétrograde, pauvre. Ils se sont leurrés à l’idée de pouvoir compter à jamais
sur une armée nationaliste (comme justement leurs prédécesseurs fascistes), et
ils n'ont pas vu que le pouvoir qu’il continuaient eux mêmes à détenir et à
gérer, manoeuvrait déjà pour mettre en place de nouvelles armées, qui pour être
transnationales sont presque des polices technocratiques. Et l'on peut dire la
même chose pour la famille, contrainte, sans solution de continuité depuis le
temps du fascisme, à l'épargne et à la moralité ; aujourd'hui, le pouvoir
de la consommation lui a imposé des changements radicaux, jusqu'à l'acceptation
du divorce et à présent, potentiellement, tout le reste, sans plus de limites
(ou du moins dans les limites autorisées par la permissivité du nouveau
pouvoir, pire qu’un pouvoir totalitaire puisque violemment totalisant).
Les
hommes du pouvoir démocrate-chrétien ont subi tout cela, en croyant
l’administrer et surtout en croyant le manipuler. Ils ne se sont pas aperçus
qu'il s'agissait de quelque chose d’ « autre », incommensurable
non seulement vis à vis d’eux mais vis à vis de toute forme de civilisation.
Comme toujours (cf. Gramsci), il n'y a eu de symptômes que dans le langage.
Dans la phase de transition - à savoir « pendant » la disparition des
lucioles - les hommes du pouvoir démocrate-chrétien ont presque brusquement
changé leur façon de s'exprimer, en adoptant un langage complètement nouveau
(du reste aussi incompréhensible que le latin) - spécialement Aldo Moro -
c'est-à-dire (par une énigmatique corrélation) celui qui apparaît comme le
moins impliqué de tous dans les choses horribles qui ont été organisés de 1969
à aujourd'hui , dans la tentative, jusqu'à présent formellement atteinte, de
conserver à tout prix le pouvoir.
Je
dis « formellement » parce que, je le répète, dans la réalité, les hommes de
pouvoir démocrates-chrétiens, camouflent le vide, avec leur attitude
d’automates et leurs sourires. Le pouvoir réel agit sans eux et ils n'ont plus
dans leurs mains que ces apparats inutiles qui ne laisse de réels en eux rien
d’autre que leur funeste complet à veston croisé.
Toutefois
dans l'histoire le « vide » ne peut subsister. Il ne peut être affirmé que de
manière abstraite et comme absurde. Il est probable en effet que le « vide »
dont je parle soit déjà en train de se remplir, à travers une crise et un redressement
qui ne peut pas ne pas bouleverser tout le pays. L'attente « morbide » d'un
coup d'Etat en est par exemple un indice. Comme s'il s'agissait seulement de «
remplacer » le groupe d'hommes qui nous a si effroyablement gouvernés pendant
trente ans, menant l'Italie à un désastre économique, écologique, urbanistique,
anthropologique. En réalité, la fausse substitution de ces « têtes de bois »
(non pas moins, mais au contraire encore plus semblables à une mascarade
funèbre), réalisée à travers le renforcement artificiel des vieux appareils du
pouvoir fasciste, ne servirait à rien (et qu'il soit clair que, dans un tel
cas, la « troupe » serait déjà, par sa constitution, nazie). Le pouvoir réel,
que les « têtes de bois » ont servi sans se rendre compte de sa réalité depuis
une dizaine d’années - voilà quelque chose qui pourrait avoir déjà rempli le «
vide » (en rendant inefficace aussi la participation possible au gouvernement
du grand pays communiste qui est né au cours de la ruine de l'Italie, car il ne
s'agit pas de « gouverner »). De ce « pouvoir réel », nous avons des images
abstraites et, au fond, apocalyptiques : nous ne savons pas nous représenter
quelles « formes » il assumerait en se substituant directement à ses
serviteurs qui l’ont pris pour une simple « modernisation » des techniques. De
toute façon, en ce qui me concerne (si cela a quelque intérêt pour le lecteur)
que ceci soit clair : moi, la Montedison, quand bien même il s’agisse d’une
multinationale, je la donnerais toute entière pour une luciole.
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